Transmission de sa maison à la vieillesse. Sens et enjeux intimes de la transmission contemporaine

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Dans ce nouvel essai sur la vieillesse, Perla Serfaty-Garzon éclaire le sens des diverses manifestations ainsi que les enjeux intimes de la transmission par les personnes âgées de leur univers domestique aux membres de leur famille. Un don que ces dernières font de leur vivant, à titre d’héritage et par choix personnel. Cet essai examine quelques modalités de cet héritage particulier reçu du vivant d’un ascendant, leurs multiples facettes et leur portée psychologique et relationnelle. Son objectif ? Soumettre au lecteur une contribution heuristique à une phénoménologie de la transmission du patrimoine domiciliaire.

Vieillesse, allongement de la vie et transmission de sa maison

L’allongement de la durée de vie transforme aujourd’hui la question de l’héritage matériel. Pourquoi ? Parce qu’il retarde significativement la transmission selon Perla Serfaty-Garzon. Cette dernière ne sert plus majoritairement, comme autrefois, à l’établissement en ménage des enfants. Au contraire, elle arrive tardivement dans le déroulement de leur vie familiale et professionnelle, parfois même à la fin de la carrière de leurs enfants. La longévité rend par ailleurs les familles contemporaines plus multigénérationnelles que jamais. Elle ouvre la possibilité aux donateurs de diriger leurs dons vers leurs petits-enfants. Enfin, la famille s’incarne diversement. Les formes que les échanges matériels symboliques peuvent prendre dans la parenté se diversifient. Qu’il s’agisse de familles dites nucléaires, recomposées, élargies, ou de parents de même sexe.

La transmission de biens matériels à la vieillesse constitue donc un enjeu social renouvelé dans un cadre globalement maintenu. Pourquoi ? Parce qu’elle traduit toujours les manières dont s’actualisent les relations familiales. Et que l’univers familial reste la sphère privilégiée de la transmission des héritages. Ces derniers continuent en outre à être dotés d’un puissant potentiel symbolique. Potentiel qui engage l’identité de l’héritier, et celle-ci dans sa relation au donateur.

L’analyse de Perla Serfaty-Garzon : une nouvelle expérience de la maison, du temps et de soi dans la vieillesse

L’expérience de la maison à la vieillesse est animée de mouvements intérieurs qui lui sont propres. En particulier en termes de rapport au temps. L’habiter est marqué par l’importance du temps intime, soit l’hyper-présence du temps intérieur dans l’expérience vécue de la personne. Cet habiter est également affecté par les transformations de sens que l’habitant âgé accorde au temps devant soi. Elles le renvoient à la fois à ce temps intime mais aussi au temps social et chronologique et donc à la question de sa place au sein de la famille et de la société ainsi qu’aux modes d’habitation qu’il va adopter en fonction de ces transformations. Il est également marqué par le sentiment de sursis, et l’incertitude ontologique.

Les questions existentielles liées à la transmission

D’une telle transformation de l’horizon temporel de l’habiter à la vieillesse émergent nombre d’interrogations sur l’avenir, après soi, de l’espace même du chez-soi. Qu’adviendra-t-il de ce qui, aujourd’hui, est « ma maison » ? « Ma maison » traduit ma façon d’habiter le monde. Elle témoigne de moi, comme une œuvre témoigne d’un artiste sans le révéler tout entier, protégeant mon secret, offrant au regard d’autrui ce qui peut être vu de moi, de mon plein gré, même au risque de l’interprétation. Quel sera l’avenir de ce que j’ai monté comme abri de mon être au monde et comme territoire d’accueil de l’autre ?

Pour Leroy Merlin, Perla Serfaty-Garzon a déjà écrit Habiter chez soi à chaque âge et La maison, le chez-soi et l’habiter à l’épreuve des temps de la vie.

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La transmission des objets domestiques à la vieillesse. Les donataires prescripteurs de l’héritage ?

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Contribution

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Poursuivant sa réflexion sur la transmission dans la vieillesse, engagée autour du don en héritage de sa maison par la personne âgée à ses enfants, Perla Serfaty-Garzon s’intéresse dans cet essai aux objets domestiques. Elle propose ainsi au lecteur un diptyque qui analyse les enjeux affectifs et existentiels de la transmission contemporaine dans le temps du vieillir.

Explorer l’attachement aux objets domestiques avant la transmission

Dans La transmission des objets domestiques à la vieillesse, Perla Serfaty-Garzon s’intéresse plus particulièrement à la génération des aînés qui, n’ayant pas vécu les privations de la guerre, a plutôt connu un parcours de vie dans lequel l’acquisition et l’accumulation de choses ont pris des significations nouvelles. Une génération de personnes qui a baigné dans la montée de la société de consommation. Elle y dessine le champ de leur attachement aux objets domestiques puis se propose de répondre à la question suivante : « Quels sont les modes d’accomplissement du don direct de ces objets dans le temps de la vieillesse ? »

Processus d’appropriation du chez-soi et expérience de l’habiter

Comme le souligne l’auteur, les objets domestiques – meubles, livres, linge, vaisselle, objets décoratifs, etc., mais aussi les bijoux, vêtements, photographies, documents privés, etc. – s’inscrivent à des titres divers et selon des modalités différentes dans les processus d’appropriation du chez-soi et de l’expérience de l’habiter. Attachés à̀ la personne habitante, ils sont porteurs d’une charge évocatrice de cette dernière. Dans leur matérialité, ils ont aussi la propriété de se prêter à la saisie et au déplacement, et à leur mise en espace autour de soi en vue de l’élaboration d’un monde propre. Ils se prêtent ainsi au don direct, en personne et par simple changement de mains, entre donateur et donataire.

Les objets domestiques : une écriture de soi et de sa maison

Cette approche des choses matérielles appelle la prise en compte des investissements du sujet qui les dotent de souvenirs et, plus généralement, de profondeur temporelle et de jalons événementiels d’ordre biographique ou familial. Également investis de sentiments, de traces de la présence de leur possesseur, de dialogues et de liens de familiarité, ces choses se voient transformées en objets, c’est-à-dire en choses dont la matérialité est devenue signifiante et parlante. Les objets qui reçoivent leur valeur de ces investissements sont alors des monuments « au sens premier du terme, ce qui garde mémoire par son être même, ce qui parle directement, par le fait que cela n’était pas destiné à parler (…) un objet ménager, un tissu, une poterie, une stèle ». (Rancière)

Les objets se posent alors en substituts « d’autre chose ». Parfois, le sujet attribue à certains d’entre eux, à travers les paroles ou les récits qu’il fait de leur histoire et de leurs significations – récits eux-mêmes constitutifs de son identité – une forme de vie qui instaure les choses en « objets-personnes » (Severi).

Les objets domestiques : transmission et classe sociale

Les objets domestiques sont par ailleurs, et de manière fondamentale, des indices de classe sociale. Ils ne peuplent ni ne remplissent de manière semblable l’espace des maisons habitées par les différents groupes socio-économiques. Le style des objets, leurs matériaux, leur disposition et leur nombre, autant que la disponibilité de l’espace vide et la multifonctionnalité de certaines pièces indique le niveau de fortune et, plus généralement, les appartenances de classe. Mais, quel que soit leur statut d’indice, les objets domestiques ont en commun d’être investis de l’attachement et des affects de ceux qui les ont possédés et de porter, à ce titre, une émotion biographique.

Sélection ou refus : les donataires, nouveaux prescripteurs de l’héritage

Perla Serfaty-Garzon, s’appuyant sur ses enquêtes de terrain, offre un large aperçu du rapport des personnes âgées à leurs objets personnels dans la maison. Et de la manière dont elles manifestent le désir d’écrire dans la vie de leurs descendants et proches qui elles ont été.

Ces analysent éclairent les attitudes contemporaines des donataires, en premier lieu les enfants et les petits-enfants de la personne âgée. Les premiers en faisant part de leurs réticences à recevoir ces objets et à les installer chez eux, voire en les sélectionnant, manifestent une attitude nouvelle à l’égard de l’héritage. En effet, souvent déjà âgés et largement équipés, leur propre maison envahie par les objets, ils hésitent à recevoir ces dons qui viennent inscrire la présence du parent dans leur chez-soi. Ces donataires s’affirment alors comme prescripteurs en matière d’héritage. La présence des seconds, petits-enfants mais aussi amis proches, dans le circuit du don des objets, rend compte de la nécessité pour la personne âgée d’élargir le champ des donataires possibles.

Perla Serfaty-Garzon, a également publié dans la série Contributions : « Les temps de l’habiter » et « Donner sa maison à la vieillesse » qui constitue avec cette contribution un diptyque sur les sens et les enjeux intimes de la transmission contemporaine.

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Habiter sa vieillesse, habiter sa maison : de la transformation du sens aux stratégies

In Lord, S. et Piché, D. (direction) Vieillesse et aménagement. Perspectives plurielles. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2018, p. 39-54.

Extrait, p. 42-43 :
Césures biographiques, séismes intimes et déplacement de sens

Invitées à s’exprimer sur leur expérience du vieillir, nos interlocutrices parlent d’abord de leur entrée dans la conscience du temps comme « matière » de la vie ; la nature et le sens du temps en soi se posent en question philosophique. Toutefois, elles parlent aussi de la mort devenue plus présente et d’une nouvelle intimité avec l’idée de sa survenue possible à tout moment. Ce mouvement est double, à la fois philosophique et réflexif.

L’évocation de la mort révèle à la fois leur sentiment propre et l’étroite association, dans les mentalités, entre la mort et la vieillesse, association perçue comme légitimée par l’accumulation des ans, au même titre qu’est perçue comme une anomalie l’association entre la mort et la jeunesse. Ainsi, qui dit mort suppose la vieillesse. Qui a été touché de près par la perspective de sa mort parle de l’âge, non pas en termes d’entrée dans la vieillesse biologique, mais parce que la perspective rapprochée de la mort fait accéder à une nouvelle conscience du temps et du temps devant soi. Le franchissement d’une étape de la vie, un événement ou un vécu personnel ont changé le regard que ces interlocutrices portaient sur leur vie.

Le premier mode principal de ce changement de regard renvoie à un moment qu’elles peuvent identifier, voire dater, et qui a fait césure dans le déroulement de leur histoire personnelle. Ce moment ou cet événement ne sont pas des déclencheurs de déprise (Caradec, 2007), bien qu’une conscience plus aiguë de la finitude fasse partie de leurs répercussions et qu’ils conduisent à observer parfois des réorganisations de la vie quotidienne. Ce sont bien plutôt des déclencheurs de déplacements de sens, qui vont durablement influencer leur philosophie de vie et les conduire à des retours à soi par ailleurs socialement légitimés. Ces déplacements de sens constituent autant de séismes intimes dont la traduction la plus immédiate est, à l’horizon de la mortalité, la tentative de ressaisissement de soi qui va faire émerger d’autres ressentis du chez-soi et fonder les passages à l’action en matière d’habiter.

Ce basculement peut être ou ne pas être lié à un « palier » socialement et conventionnellement défini des âges de la vie, tels l’âge de la retraite professionnelle ou l’âge de la ménopause. Il advient à des âges « objectifs » divers, à l’occasion d’événements personnels variés. Il inaugure un nouveau rapport au temps privé et colore le déploiement biographique du sujet, dont la perspective sur son âge subjectif est altérée. L’avenir change de qualité comme de sens à ses yeux.

Enfant, adolescent, séniors, à chacun son “habiter”

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Dans ce nouvel essai pour Leroy Merlin Source, Perla Serfaty-Garzon explore la question : comment la relation à l’habiter, le lien au chez-soi, évoluent-ils en fonction de l’âge ? Que l’on soit enfant, puis adolescent ou personne âgée ? La psychologue environnementale esquisse les enjeux à l’œuvre dans ces différents temps de l’habiter.

Habiter et chez-soi : des définitions de Perla Serfaty-Garzon

L’habiter c’est à dire « l’être chez-soi » n’est ni un état statique ni un mouvement qui aspire à se stabiliser de manière pérenne. C’est une trajectoire. Et une histoire marquée d’émergences, de temps forts et d’affirmation mais aussi d’éclipses et de basculements. Quelle est alors la nature du rapport des différents types d’âges de la vie avec l’être chez-soi ?

Le chez-soi : l’identité de lieu du sujet

Dans cette contribution, Perla Serfaty-Garzon développe et enrichit une première version du texte qui a été publiée dans Métamorphoses du chez-soi ! Elle cherche à y appréhender le lien au chez-soi autour du concept d’identité de lieu du sujet. Elle en retient trois couples singuliers que forme l’habiter avec, d’une part, les dynamiques de la construction de l’identité de lieu de l’enfant ; avec la tension entre vacillements et affirmation de l’identité de lieu de l’adolescent d’autre part ; et, enfin, de l’identité de lieu de la personne âgée sous les modalités de sa transformation existentielle.

Chez-soi : habiter dans la chambre d’enfant

Les enjeux autour du chez-soi de l’enfant sont nombreux. La chambre de l’enfant est à la fois un abri, un cocon. C’est un espace chargé d’amener l’enfant à la conscience des dimensions spatiales de son bien-être et celle de la centralité de l’être chez-soi. Mais elle le prépare aussi à l’épreuve du départ du lieu. Elle porte l’empreinte des parents et aide l’enfant à faire l’apprentissage du « lieu à soi ». Elle évoque aussi la notion de territoire et des enjeux symboliques en terme de place dans la famille, et peut même se transformer en espace disciplinaire. La chambre apprend à l’enfant à être seul, mais aussi à être avec les autres. Elle prépare sa souplesse identitaire.

La porte : au cœur des enjeux du chez-soi pour les adolescents

A l’adolescence, la personnalité de l’enfant s’affirme : il connaît ses goûts et on les reconnait. Peu à peu, le « chez-nous » devient un « chez mes parents ». Il lui faut aspirer, pour être respecté comme sujet indépendant, à être bientôt chez lui. La chambre protège ses secrets, elle devient son royaume. Pour lui, c’est une manière d’imposer à sa famille une manifestation de sa séparation, ce que la psychologue appelle « le caractère extraterritorial de son espace personnel dans l’espace familial ». La porte de la chambre qu’il maîtrise lui permet de construire son identité.

Chez-soi quand on prend de l’âge : habiter la vieillesse

Rester chez-soi est un enjeu fort de la vieillesse. Mais comment les séniors assument-ils leur habiter ? Leur maison devient l’objet de nouvelles interrogations existentielles. La question du lieu d’être se pose : pourrai-je quitter ma maison pour une autre ? Aurai-je la capacité d’en faire mon deuil ? D’être à nouveau chez moi ailleurs ? Les séniors se posent également la question de l’avenir du monde matériel personnel qu’ils ont bâti (que vont devenir leurs objets, leurs souvenirs ?). Le mode d’habiter se tend entre être et avoir. Chacun opte pour ce qui, dans l’habiter, fait le plus sens pour lui. Séismes intimes et sentiment de sursis sont ainsi, paradoxalement et pour qui les assume, dynamiques et dynamisants. Pour Perla Serfaty-Garzon, la maison et le chez-soi sont plus que jamais le champ d’une recherche d’adéquation entre soi et une façon propre d’habiter son âge.

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Temporalités intimes : le chez-soi de la vieillesse

Revue Internationale Enfances, Familles, Générations, 2010 n° 13

https://www.efg.inrs.ca/wp-content/uploads/2018/04/2010-13-Serfaty-Garzon.pdf

RÉSUMÉ : Cet article veut caractériser et analyser quelques-unes des expériences temporelles féminines, à la vieillesse, à partir de l’examen de ” l’habiter chez-soi “. Les tensions intimes qui marquent les rapports au temps, au moment du ” retour à la maison “, apparaissent liées à la redéfinition du rôle féminin et des rapports conjugaux. Le sentiment de précarité du chez-soi introduit une nouvelle tension au sein de l’expérience de l’habiter. La continuité des générations et le soin que chacune prend de l’autre apparaissent comme un enjeu existentiel majeur de la vieillesse. Enfin, sont aussi examinées l’ouverture du chez-soi à autrui et les transformations du sens de l’hospitalité.

Chez soi, vieillesse et transmission. Les enjeux intimes de la trace et du don

In Monique Membrado et Alice Rouyer (direction)
Habiter et Vieillir. Vers de nouvelles demeures .
Toulouse, Éditions Erès, 2013, p. 25-42.

Table des matières de Chez soi, vieillesse et transmission. Les enjeux intimes de la trace et du don (2013) :

« QUI MAINTENANT N’A POINT DE MAISON, N’EN BÂTIRA PLUS »
« Mes arrière-neveux me devront cet ombrage » 1
La transmission : un mode d’habiter la vieillesse en changement 2
La maison est féminine 3
L’habiter et le vieillir féminin : une recherche en œuvre 4

LA TRACE ET LE DON D’OBJETS DOMESTIQUES : LES ENJEUX INTIMES D’UNE DYNAMIQUE EN CHANGEMENT 6
La trace à l’épreuve de la sédimentation des objets 6
Revoir et corriger par omission 8
La gestion de la trace, une question morale 10
Une empreinte brute ? 11
Une si douce imposition, une si belle élection ? 12

DU CÔTÉ DES DONATAIRES 13
La demande de transmission 13
Le refus de la transmission 14
Donataires et prescripteurs d’une maison 15
Le souci maternel de l’autonomie et de la singularité des donataires 16

CONCLUSION 17

BIBLIOGRAPHIE 20

Vieillesse et engendrements. la longévité dans la tradition juive

Montréal, Novalis (Bayard Canada), 2013. PRIX J.I. SEGAL.

Référence : Perla Serfaty-Garzon, Vieillesse et engendrements. La longévité dans la tradition juive. Montréal, Novalis (Bayard Canada), 2013. https://perlaserfaty.net/habiter-et-vieillir/

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Chap. I-VI Chap. VII-XII Chap. XIII-Conclusion

Discours de réception du Prix J.I. Segal

M. le président de la Bibliothèque Publique Juive de Montréal,
Mesdames les membres du jury du Prix Shulamis Yelin au titre des prix J.I. Segal, Mesdames, messieurs, distingués invités, chers collègues, amis et membres de ma famille,
Je salue la présence dans la salle de Mme Gilda Routy, Directrice, division livre de Bayard Canada,
ainsi que celle de M. Jonathan Guilbault, Éditeur délégué, livre français, de Novalis-Bayard Canada.
Je voudrais également remercier M. Yvon Métras, ancien Directeur Adjoint, division livres Novalis-Bayard Canada, qui a accompagné, avec Mme Gilda Routy, la naissance de ce livre.

Je suis honorée de recevoir ce prix qui, à travers Vieillesse et engendrements. La longévité dans la tradition juive, honore des idées et des valeurs qui sont non seulement centrales pour le peuple juif historique et les communautés juives contemporaines, mais continuent d’inspirer et de fonder les interrogations existentielles de tant d’hommes et de femmes extérieurs à l’identité et à l’histoire des Hébreux, du peuple d’Israël et du peuple juif.

Je dirai quelques mots qui, dans les limites de cette allocution d’acceptation du prix J. I. Segal, ne pourront que suggérer la profondeur et la richesse du patrimoine biblique hébraïque sur la question de la longévité.

Je le ferai en rappelant quelques uns des aspects de l’interdiction de vieillir que nos sociétés occidentales contemporaines formulent, explicitement et implicitement, en direction des aînés.

Cette interdiction se traduit sous la forme d’une série d’injonctions qui montrent qui montrent que nos sociétés peinent à formuler une vision du sens de la vieillesse et de la place des aînés en leur sein. Elles ont du mal à définir les vocations sociales et morales de l’âge.

Si elles ne veulent plus voir la retraite professionnelle comme une mort sociale, elles bercent pourtant les personnes âgées de slogans, qui sont devenus autant d’impératifs.

Il faudrait être jeune dans la vieillesse. Il faudrait voir dans la longévité « un âge d’or » parce que destiné au loisir, à la détente et au repos. Il ne faudrait pas se dire « vieux » ou « vieille », et encore moins désigner les autres vieux comme tels.

Il faudrait se contenter de cela, de ces euphémismes et de ces impensés et se conter autant d’histoires sur ce « bel âge ».

Tout cela comme si les vicissitudes de l’âge n’existaient pas, comme si la vie ne cessait pas d’être complexe et mouvante, comme si la conscience de soi n’était pas plus menacée et comme si la perspective de la mort ne se rapprochait pas.

Interdiction de vieillir donc. Interdiction de prendre acte de la nostalgie et d’assumer la peur de sa propre néantisation.

L’injonction de rester jeune dans la vieillesse, actif et donc productif d’une manière ou d’une autre, et en santé, s’inscrit dans un tableau plus global de culpabilisation :

– les vieux coûtent cher,
– les vieux, pour avoir une légitimité sociale, doivent rester, par leur dynamisme et donc par l’une ou l’autre forme de productivité, jeunes dans leur vieillesse,
– les vieux ne valent rien quand ils ont, selon l’expression talmudique, « tout oublié », ce qui fonde en partie la grande peur de la dépendance.

Mais beaucoup d’aînés vont au-delà de ces incitations ambiantes et voudraient faire de leur vieillesse un « temps fort ». Certains y parviennent comme en témoignent, c’est un indicateur social et un exemple parmi d’autres, l’importance de leur implication au sein de la vie associative ainsi que les diverses formes de bénévolat qu’ils assument. Mais bien d’autres sont déstabilisés, hésitants entre l’auto-dévalorisation et la course à la jouissance de ce « bel âge ».

Les sources bibliques, au contraire, désignent la vieillesse comme telle, dans toute sa complexité existentielle, avec ses maux, ses interrogations sur son sens, et ses accomplissements.

Les vieillards bibliques s’inscrivent dans l’action quotidienne et parmi les leurs. Ils sont aux champs et gèrent leurs biens. Les sources bibliques ne mettent personne à la retraite parce qu’il n’y a pas de retraite de la vie. Il n’y a pas de retraite de la vie avec les autres et encore moins de retraite des commandements.

Alors que les mythes grecs qui, comme le récit biblique, ont nourri l’imaginaire de la pensée occidentale, ne manifestent guère d’amour de la vieillesse – dite hargneuse, avare et lubrique, risible parce que déchue – la tradition juive établit la longévité comme une bénédiction.

La personne du vieillard appelle, sauf lorsqu’il incarne le mal absolu, le respect. Il représente la sagesse acquise par l’étude et le respect des commandements. Et lorsque ces derniers ont été absents, il représente la connaissance qui découle de l’expérience.

La Bible dessine une morale pratique à l’égard des vieillards, morale qui oblige à se lever devant la tête blanche, et dont on trouve la source dans le commandement d’honorer son père et sa mère.

La Bible parle des infirmités, des souffrances physiques, de la mélancolie du vieillir et de tous les pièges moraux et spirituels de l’âge. Bien des événements majeurs de l’histoire collective s’articulent sur une infirmité ou une faute morale d’un grand vieillard : la cécité d’Isaac, la « froideur » qui saisit David, les innombrables épouses païennes du vieux Salomon.

Elles peignent des vieillards souvent grands et féconds autant que lacunaires.

C’est pour mieux établir qu’à la vieillesse, COMME A TOUTES LES PERIODES DE LA VIE MAIS DE MANIERE PLUS URGENTE A L’HORIZON DE LA MORT, chacun doit prendre sur soi de transcender les vicissitudes de l’âge et de fonder sur ces dernières une transformation de soi.

En ce sens, la Bible interdit de vieillir parce qu’elle attend du sujet de ne pas renoncer à la possibilité de changer le sens et la direction de sa vie. Elle attend de lui qu’il s’inscrive dans la possibilité du renouvellement de soi. Ainsi le vieillard peut-il et doit-il toujours s’engendrer.

Mais que dire de la grande dépendance ? Le Talmud (Traité Berachot 8 b) fournit le fondement éthique de la reconnaissance de la place dans le monde de chaque être gravement diminué par l’âge : « Veillez au vieillard qui a tout oublié malgré lui ce qu’il a appris, car les (secondes) Tables de l’alliance et les débris des (premières) Tables étaient (toutes deux) posées dans l’arche sainte ».

Dans la tradition juive, la longévité, disions-nous, est une bénédiction.

Mais être vieux a un but et une finalité éthique. C’est pourquoi être vieux n’est pas de tout repos. Bien au contraire.

Le vieillard est chargé de mission dans la chaîne des générations. Il doit transmettre une éthique et, par cet autre engendrement, contribuer individuellement à la poursuite de l’action en faveur du droit et de la justice pour un monde plus moral.

Toute personne, mais le vieillard encore plus, doit prendre part à l’humanisation de l’humanité.

Plus encore, sa capacité de transmettre traduit sa capacité même à être père ou mère.

Il lui est interdit de vieillir en ce sens qu’il ne peut renoncer à donner du sens à sa longévité. Il ne peut que s’inscrire non seulement dans la vie mais dans l’enrichissement du sens de sa vie par sa contribution personnelle à l’humanisation de l’humanité.

Et c’est par son œuvre qu’à leur tour, son fils et sa fille reconnaîtront chez leur père ou leur mère, ces parts de justice et de droiture susceptibles de contribuer à l’avènement d’une humanité moralement aboutie.

La spécificité de la tradition juive réside dans sa façon d’assumer l’âge comme l’urgence de remplir ces engagements qui sont ceux de tous les âges de la vie de tout un chacun.

La mission de la vieillesse réside dans la continuité de ces engagements, qui sont autant d’engendrements, à l’horizon de l’objectif collectif de l’avènement de la fraternité humaine.

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