Vieillesse et engendrements. la longévité dans la tradition juive,
Montréal, Novalis (Bayard Canada), 2013. PRIX J.I. SEGAL.

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Référence : Perla Serfaty-Garzon, Vieillesse et engendrements. La longévité dans la tradition juive. Montréal, Novalis (Bayard Canada), 2013. https://perlaserfaty.net/habiter-et-vieillir/

 

Chap. I-VI Chap. VII-XII Chap. XIII-Conclusion

Discours de réception du Prix J.I. Segal

M. le président de la Bibliothèque Publique Juive de Montréal,
Mesdames les membres du jury du Prix Shulamis Yelin au titre des prix J.I. Segal, Mesdames, messieurs, distingués invités, chers collègues, amis et membres de ma famille,
Je salue la présence dans la salle de Mme Gilda Routy, Directrice, division livre de Bayard Canada,
ainsi que celle de M. Jonathan Guilbault, Éditeur délégué, livre français, de Novalis-Bayard Canada.
Je voudrais également remercier M. Yvon Métras, ancien Directeur Adjoint, division livres Novalis-Bayard Canada, qui a accompagné, avec Mme Gilda Routy, la naissance de ce livre.

Je suis honorée de recevoir ce prix qui, à travers Vieillesse et engendrements. La longévité dans la tradition juive, honore des idées et des valeurs qui sont non seulement centrales pour le peuple juif historique et les communautés juives contemporaines, mais continuent d’inspirer et de fonder les interrogations existentielles de tant d’hommes et de femmes extérieurs à l’identité et à l’histoire des Hébreux, du peuple d’Israël et du peuple juif.

Je dirai quelques mots qui, dans les limites de cette allocution d’acceptation du prix J. I. Segal, ne pourront que suggérer la profondeur et la richesse du patrimoine biblique hébraïque sur la question de la longévité.

Je le ferai en rappelant quelques uns des aspects de l’interdiction de vieillir que nos sociétés occidentales contemporaines formulent, explicitement et implicitement, en direction des aînés.

Cette interdiction se traduit sous la forme d’une série d’injonctions qui montrent qui montrent que nos sociétés peinent à formuler une vision du sens de la vieillesse et de la place des aînés en leur sein. Elles ont du mal à définir les vocations sociales et morales de l’âge.

Si elles ne veulent plus voir la retraite professionnelle comme une mort sociale, elles bercent pourtant les personnes âgées de slogans, qui sont devenus autant d’impératifs.

Il faudrait être jeune dans la vieillesse. Il faudrait voir dans la longévité « un âge d’or » parce que destiné au loisir, à la détente et au repos. Il ne faudrait pas se dire « vieux » ou « vieille », et encore moins désigner les autres vieux comme tels.

Il faudrait se contenter de cela, de ces euphémismes et de ces impensés et se conter autant d’histoires sur ce « bel âge ».

Tout cela comme si les vicissitudes de l’âge n’existaient pas, comme si la vie ne cessait pas d’être complexe et mouvante, comme si la conscience de soi n’était pas plus menacée et comme si la perspective de la mort ne se rapprochait pas.

Interdiction de vieillir donc. Interdiction de prendre acte de la nostalgie et d’assumer la peur de sa propre néantisation.

L’injonction de rester jeune dans la vieillesse, actif et donc productif d’une manière ou d’une autre, et en santé, s’inscrit dans un tableau plus global de culpabilisation :

– les vieux coûtent cher,
– les vieux, pour avoir une légitimité sociale, doivent rester, par leur dynamisme et donc par l’une ou l’autre forme de productivité, jeunes dans leur vieillesse,
– les vieux ne valent rien quand ils ont, selon l’expression talmudique, « tout oublié », ce qui fonde en partie la grande peur de la dépendance.

Mais beaucoup d’aînés vont au-delà de ces incitations ambiantes et voudraient faire de leur vieillesse un « temps fort ». Certains y parviennent comme en témoignent, c’est un indicateur social et un exemple parmi d’autres, l’importance de leur implication au sein de la vie associative ainsi que les diverses formes de bénévolat qu’ils assument. Mais bien d’autres sont déstabilisés, hésitants entre l’auto-dévalorisation et la course à la jouissance de ce « bel âge ».

Les sources bibliques, au contraire, désignent la vieillesse comme telle, dans toute sa complexité existentielle, avec ses maux, ses interrogations sur son sens, et ses accomplissements.

Les vieillards bibliques s’inscrivent dans l’action quotidienne et parmi les leurs. Ils sont aux champs et gèrent leurs biens. Les sources bibliques ne mettent personne à la retraite parce qu’il n’y a pas de retraite de la vie. Il n’y a pas de retraite de la vie avec les autres et encore moins de retraite des commandements.

Alors que les mythes grecs qui, comme le récit biblique, ont nourri l’imaginaire de la pensée occidentale, ne manifestent guère d’amour de la vieillesse – dite hargneuse, avare et lubrique, risible parce que déchue – la tradition juive établit la longévité comme une bénédiction.

La personne du vieillard appelle, sauf lorsqu’il incarne le mal absolu, le respect. Il représente la sagesse acquise par l’étude et le respect des commandements. Et lorsque ces derniers ont été absents, il représente la connaissance qui découle de l’expérience.

La Bible dessine une morale pratique à l’égard des vieillards, morale qui oblige à se lever devant la tête blanche, et dont on trouve la source dans le commandement d’honorer son père et sa mère.

La Bible parle des infirmités, des souffrances physiques, de la mélancolie du vieillir et de tous les pièges moraux et spirituels de l’âge. Bien des événements majeurs de l’histoire collective s’articulent sur une infirmité ou une faute morale d’un grand vieillard : la cécité d’Isaac, la « froideur » qui saisit David, les innombrables épouses païennes du vieux Salomon.

Elles peignent des vieillards souvent grands et féconds autant que lacunaires.

C’est pour mieux établir qu’à la vieillesse, COMME A TOUTES LES PERIODES DE LA VIE MAIS DE MANIERE PLUS URGENTE A L’HORIZON DE LA MORT, chacun doit prendre sur soi de transcender les vicissitudes de l’âge et de fonder sur ces dernières une transformation de soi.

En ce sens, la Bible interdit de vieillir parce qu’elle attend du sujet de ne pas renoncer à la possibilité de changer le sens et la direction de sa vie. Elle attend de lui qu’il s’inscrive dans la possibilité du renouvellement de soi. Ainsi le vieillard peut-il et doit-il toujours s’engendrer.

Mais que dire de la grande dépendance ? Le Talmud (Traité Berachot 8 b) fournit le fondement éthique de la reconnaissance de la place dans le monde de chaque être gravement diminué par l’âge : « Veillez au vieillard qui a tout oublié malgré lui ce qu’il a appris, car les (secondes) Tables de l’alliance et les débris des (premières) Tables étaient (toutes deux) posées dans l’arche sainte ».

Dans la tradition juive, la longévité, disions-nous, est une bénédiction.

Mais être vieux a un but et une finalité éthique. C’est pourquoi être vieux n’est pas de tout repos. Bien au contraire.

Le vieillard est chargé de mission dans la chaîne des générations. Il doit transmettre une éthique et, par cet autre engendrement, contribuer individuellement à la poursuite de l’action en faveur du droit et de la justice pour un monde plus moral.

Toute personne, mais le vieillard encore plus, doit prendre part à l’humanisation de l’humanité.

Plus encore, sa capacité de transmettre traduit sa capacité même à être père ou mère.

Il lui est interdit de vieillir en ce sens qu’il ne peut renoncer à donner du sens à sa longévité. Il ne peut que s’inscrire non seulement dans la vie mais dans l’enrichissement du sens de sa vie par sa contribution personnelle à l’humanisation de l’humanité.

Et c’est par son œuvre qu’à leur tour, son fils et sa fille reconnaîtront chez leur père ou leur mère, ces parts de justice et de droiture susceptibles de contribuer à l’avènement d’une humanité moralement aboutie.

La spécificité de la tradition juive réside dans sa façon d’assumer l’âge comme l’urgence de remplir ces engagements qui sont ceux de tous les âges de la vie de tout un chacun.

La mission de la vieillesse réside dans la continuité de ces engagements, qui sont autant d’engendrements, à l’horizon de l’objectif collectif de l’avènement de la fraternité humaine.

 

CHAPITRES D’OUVRAGES COLLECTIFS :

Habiter sa vieillesse, habiter sa maison : de la transformation du sens aux stratégies (2018). In Lord, S. et Piché, D. (direction) Vieillesse et aménagement. Perspectives plurielles. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 39-54.

Chez soi, vieillesse et transmission. Les enjeux intimes de la trace et du don (2013) In Monique Membrado et Alice Rouyer (direction)
Habiter et Vieillir. Vers de nouvelles demeures .
Toulouse, Éditions Erès, p. 25-42.

Table des matières de Chez soi, vieillesse et transmission. Les enjeux intimes de la trace et du don (2013) :

« QUI MAINTENANT N’A POINT DE MAISON, N’EN BÂTIRA PLUS »
« Mes arrière-neveux me devront cet ombrage » 1
La transmission : un mode d’habiter la vieillesse en changement 2
La maison est féminine 3
L’habiter et le vieillir féminin : une recherche en œuvre 4

LA TRACE ET LE DON D’OBJETS DOMESTIQUES : LES ENJEUX INTIMES D’UNE DYNAMIQUE EN CHANGEMENT 6
La trace à l’épreuve de la sédimentation des objets 6
Revoir et corriger par omission 8
La gestion de la trace, une question morale 10
Une empreinte brute ? 11
Une si douce imposition, une si belle élection ? 12

DU CÔTÉ DES DONATAIRES 13
La demande de transmission 13
Le refus de la transmission 14
Donataires et prescripteurs d’une maison 15
Le souci maternel de l’autonomie et de la singularité des donataires 16

CONCLUSION 17

BIBLIOGRAPHIE 20

 

ARTICLES DISPONIBLES EN LIGNE:

Temporalités intimes : le chez-soi de la vieillesse
Revue Internationale Enfances, Familles, Générations, 2010 n° 13
http://efg.inrs.ca/index.php/EFG/article/view/111

RÉSUMÉ : Cet article veut caractériser et analyser quelques-unes des expériences temporelles féminines, à la vieillesse, à partir de l’examen de ” l’habiter chez-soi “. Les tensions intimes qui marquent les rapports au temps, au moment du ” retour à la maison “, apparaissent liées à la redéfinition du rôle féminin et des rapports conjugaux. Le sentiment de précarité du chez-soi introduit une nouvelle tension au sein de l’expérience de l’habiter. La continuité des générations et le soin que chacune prend de l’autre apparaissent comme un enjeu existentiel majeur de la vieillesse. Enfin, sont aussi examinées l’ouverture du chez-soi à autrui et les transformations du sens de l’hospitalité.

 


La maison, le chez-soi et l’habiter à l’épreuve des temps de la vie

https://www.leroymerlinsource.fr/

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