Premières lignes :
L’enfant est un hôte de passage dans sa maison. L’idée mérite d’autant plus d’être rappelée que les sociétés occidentales contemporaines, habitées par le constant souci de l’enfant, accordent au territoire propre à ce dernier – sa chambre – un statut privilégié sinon central au sein de l’espace familial, tout en projetant dans l’avenir les métamorphoses du lieu et le départ de son habitant. Il n’en a pas toujours été ainsi, et cette trajectoire connaît aujourd’hui des infléchissements significatifs. Je propose d’examiner ici, sous la forme d’un court essai nourri des travaux contemporains sur le chez-soi et la famille, le passé et le présent des étapes clés des inscriptions territoriales de l’enfant dans la maison et leur déclinaison au sein des familles dites recomposées. Ce faisant, je proposerai les observations qui fondent le titre de cet essai, à savoir que l’enfant d’aujourd’hui reste, par nécessité et dans un premier temps, un récepteur en matière d’espace, mais qu’il se dépouille de plusieurs aspects de son statut d’hôte chez ses parents pour devenir un prescripteur territorial au sein de la maison.
Le sentiment de l’enfance, de l’intime et de la famille
Du milieu du Moyen Âge à la fin du XVIIe siècle, dit Ariès, il n’y a pas eu de transformation réelle des mentalités profondes. Le côtoiement des gens dans la rue est continuel et s’accompagne d’un mouvement tout aussi constant à l’intérieur des maisons, les demeures riches, peu nombreuses, faisant exception. Les enfants, de tous âges et dans leur immense majorité, vivent, comme les adultes, essentiellement dans la rue, où ils participent activement à la vie collective, et dans leur quartier où ils bénéficient de la solidarité et des soins des adultes en dépit d’un contexte de grande pauvreté.
Au XVIIIe siècle, un vaste mouvement porte l’opinion à réfléchir de manière neuve aux rapports entre parents et enfants, sous l’influence non seulement des médecins, mais aussi de philosophes comme John Locke et Jean-Jacques Rousseau, dont l’Émile, en particulier, va contribuer au changement d’attitude vis-à-vis de l’enfance. Une mutation culturelle est à l’œuvre qui correspond à une conscience de la particularité de l’enfant et qui le distingue de l’adulte, même jeune. Cette conscience s’accompagne de l’instauration d’un imaginaire de la famille nucléaire où les droits de la mère et surtout du père sur leur enfant sont majorés.
Du fin du XVIIIe siècle au XXe siècle, la construction de la notion moderne d’intimité est inséparable de la construction de l’idéal domiciliaire, qui va être magnifié au XIXe siècle au point de consacrer la disqualification de la rue au profit de la maison. La famille nucléaire est alors un état d’esprit, beaucoup plus qu’une structure. Elle est un sentiment de solidarité et un climat affectif qui lient entre eux les membres de l’unité domestique et qui les séparent du reste de la collectivité. Comme la famille s’isole derrière “le mur de la vie privée”, l’enfant vit désormais au sein de sa famille où les préoccupations à l’égard de sa particularité et de son développement vont devenir centrales.
Cette période limite considérablement l’individualisation de la femme et des enfants en les privant d’indépendance. Les années 1960, pour les femmes, et les années 1980, pour les enfants, vont témoigner de deux autres mutations culturelles, celles, précisément, de leur individualisation progressive qui, dans le cas de l’enfant, mêle intimement les notions de droits et de protection. La famille reste le principal agent et la garante de l’intérêt de l’enfant, ce qui accorde à la maison et aux territoires enfantins une importance significative.
De la chambre partagée d’hier à la chambre à soi d’aujourd’hui
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