In TRAMES

Introduction: Jardin et paysage vernaculaire

La lecture interprétative de jardins domestiques que nous proposons dans les lignes qui suivent s’inscrit dans la question plus générale de la signification sociale des paysages vernaculaires offerts aux yeux de tous, au passant. à tout un chacun, c’est-à-dire au public Ces paysages qui sont composés de maisons ordinaires, de rues modestes, de jardinets sans pré­tention, de clôtures et de lampadaires divers, et dont l’essence est aussi traduite par les rythmes et les ri­tes de leur usage social sont faussement simples Derrière le sentiment de l’ordinaire qui nous semble hâtivement résumer les choses, nous pressentons mille intentions individuelles précises, mille actions complexes orientées vers un but privé.

Elle s’inscrit également dans la tradition des récits impressionnistes, qui posent alors comme une source et une base légitimes d’exploration des associations spontanées que nous effectuons entre ce que nous voyons et ce que nous comprenons du paysage, c’est-à-dire entre la perception immédiate, ordinaire, et le sens social et symbolique des objets qui s’offrent à nous. Exploration d’impressions: ces termes résument la prudence de notre approche, qui suggère des interprétations plutôt qu’elle ne les affirme, et qui restera donc dans l’ordre et le registre de l’esquisse.

Pour ce faire, nous avons choisi le jardin domestique sur rue parce qu’II est l’espace privilégié d’exercice de ces intentions et de ces actions. Il est aussi situé à l’articulation même de la relation entre le dedans et le dehors. Comme la maison, c’est un lieu enclos où se déploient un large éventail d’ac­tivités de mise en ordre et de qualification du lieu. Comme la rue, il est un paysage appropriable par le regard. C’est pourquoi il joue un rôle particulier dans les paysages vernaculaires: tendu entre l’expression publique de buts privés et soumis à une évaluation publique fortement limitée par la conscience qu’il s’agit d’un lieu privé, le jardin résume la dialectique même du masque et de l’identité de l’habitant.

Les jardins domestiques dont nous parlerons sont situés dans le quartier résidentiel appelé Oundonald Hill à Port-of-Spain, Trinidad. Ce quartier est à l’origine ce qu’il est convenu d’appeler pudiquement une installation humaine spontanée, ou squatter settlement, mais il est loin d’avoir aujourd’hui l’apparence d’un bidonville. Certes, quelques très modestes et primitives cabanes subsistent ou même sont en cours de construction ici et là mais ces poches de grande pauvreté contrastent avec l’expression presque généralisée d’une aspiration à l’habitation petite bourgeoise. Oundonald Hill est donc une installation humaine illégale, vieille d’une trentaine d’années Son profil économique reste bas tandis que son profil démographique se focalise autour de deux groupes ethniques: les noirs, majoritaires, et les indiens originaires de l’est continent indien.

Situé sur les pentes abruptes de Port-of-Sparn, Dundonald Hill jouit de vues panoramiques sur la eet sa baie Bien Qu’ancien, et étendu Quasiment jusqu’au sommet des pentes, le Quartier continue à ê le bâti de maisons individuelles La beauté du site el des vues, l’abondante végétation tropicale, le caractère très orné de nombreuses villas, la taille importante de beaucoup de maisons, et le nombre impressionnant de hautes clôtures métalliques autour des maisons d’apparence plus cossue font brièvement illusion sur le caractère globalement modeste du Quartier. Trois rues seulement, en pente raide et peu pra­ticables lui donnent accés, l’érosion des pentes est évidente, les eaux usées courent dans des égouts à ciel ouvert, un très grand nombre de maisons ne sont accessibles qu’à pied

La topographie du Quartier el la localisation des trois routes affectent de manière décisive l’implan­tation des maisons et celle des jardins, et, par extension, toutes les expressions particulières de la dialectique entre le dedans et le dehors Que nous rencontrons sur le site. D’une manière générale, les maisons sont bâties sur des parcelles dominant la route, en contrebas de la route, ou entre les routes, c’est-à-dire qu’elles sont dans ce dernier cas accessibles à pied.

Ces facteurs s’ajoutent à ceux de nature économique et ethnique pour former un ensemble de circonstances difficiles, qui font de la construction d’une maison à Dundonald Hill une épreuve et un long processus à la fois physique et psychologique. Cet aspect des choses est d’autant plus important que la maison est elle à Dundonald Hill comme dans la plupart des installations Illégales, progressivement, au fur et à mesure de l’évolution de la situation économique de chaque famille Le quartier possède quelques boutiques et services et une vie communautaire organisée.

Enfin, après plus de trente ans d’existence, le quartier a ses propriétaires et ses locataires bien installés. qui voisinent avec de nouveaux venus. la régularisation, et donc la reconnaissance légale et la légitimation sociale du quartier, sont en cours d’examen par les autorités municipales.

C’est sur ce fond de paysage physique et social que nous abordons ici la lecture des Jardins domestiques, lecture qui est celle même des gestes nombreux et persévérants qui conduisent à la production d’un paysage culturel qui à la fois remplit les besoins Immédiats de l’habitant, favorise l’expression de son attachement au lieu, et révèle une vision de son avenir.

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Pour faire référence à cet article
Perla Korosec-Serfaty (1993). Jardins dans un quartier résidentiel spontané. Trames. N° spécial : Le public et ses domaines. No 7, p. 39-48. http://perlaserfaty.net/jardins-dans-un-quartier-residentiel-spontane/

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