In Dictionnaire de l’habitat et du logement.
p.65-69

La notion de chez-soi intègre l’habitation et l’un de ses modes majeurs d’expérience, soit l’intimité. Le chez-soi, l’habitat et l’intimité dessinent les pôles d’un même champ d’intelligibilité, qui est celui de l’habiter, mais chacune de ces notions couvre des sens et ouvre des perspectives qui lui sont propres.

L’habitat : l’approche des sciences sociales

L’habitat constitue un thème majeur de la géographie où cette notion dépasse largement celle de maison ou de logement pour couvrir la répartition spatiale des habitations, le paysage, les espaces urbains, la population et son genre de vie. L’archéologie, comme la géographie, voit également l’habitat comme un élément majeur de la culture matérielle, l’expression de la mentalité des habitants et de leur rapport à leur milieu.

Il revient cependant à l’anthropologie d’avoir pleinement mis en lumière que les types d’habitations, leurs modes de localisation, les dispositifs architecturaux et de distribution des espaces intérieurs, comme les variations dans l’utilisation des matériaux, relèvent moins d’une conception utilitaire de la maison que d’une intention de traduction d’un modèle culturel de vie sociale. Dans cette perspective, comme l’a montré A. Rapoport (1972), la fonction d’abri de l’habitat est une fonction passive. Son but actif est de constituer une unité signifiante et pertinente au sein de l’espace social d’une culture.

L’étude que M. Mauss (1974) consacre aux Eskimos, puis les travaux de C. Lévi-Strauss (1966) sur les populations amazoniennes vont à cet égard exercer une influence majeure. Ils mettent en lumière les rapports d’interdépendance entre l’habitat et tous les aspects de la vie sociale, modifiant du même coup le regard que portent les ethnologues sur l’habitat. En particulier, C. Lévi-Strauss fait mesurer pleinement les conséquences de l’organisation de l’espace non seulement sur l’existence même des cultures, mais aussi sur leur transformation, voire leur disparition.

La gravité de cet enjeu a fréquemment conduit à considérer comme générateurs de dysfonctionnements les contradictions et les écarts constatés entre des pratiques d’habitation qui tirent leur sens de la tradition et celles qui sont appelées par des organisations spatiales étrangères à la culture des habitants. Il faut cependant nuancer les choses, car ces écarts soulèvent des enjeux d’importance très inégale, qui varient selon les contextes sociologiques et historiques des groupes humains. D’autre part, les liens directs entre l’habitat comme dispositif et l’engendrement de pratiques révélatrices d’un dysfonctionnement ne vont pas de soi.

Deux situations analysées en profondeur permettent, en particulier, d’illustrer l’inégalité de ces enjeux. C. Lévi-Strauss a montré que l’enjeu du déplacement des Bororos amazoniens par des missionnaires dans un nouveau village est celui de la survie même de leur culture. Ceci dans la mesure où les dispositifs spatiaux du village Bororo traditionnel traduisent étroitement la structure du système social et religieux de ce groupe. L’installation dans un village dont le plan est entièrement étranger à cette structure remet violemment en question la viabilité même de ce système. Toute autre est, par exemple, la situation des ouvriers de la cité de Pessac étudiée par Ph. Boudon (1969). A Pessac, les habitants sont confrontés à la distribution intérieure, nouvelle pour eux, des pavillons conçus par Le Corbusier. Les dispositifs spatiaux des pavillons et de la cité remettent en question les codes ouvriers du privé, de la sociabilité et du voisinage. Les habitants réagissent en se livrant à des modifications de ces pavillons, qu’ils altèrent en fonction de leur conception des pratiques acceptables du chez-soi. En d’autres termes, ils les rendent habitables. En cela, les habitants de Pessac montrent qu’ils disposent en eux-même des moyens culturels d’agir pour adapter ce nouvel habitat à leur mode vie et que la société à laquelle ils appartiennent considère le recours à ces moyens comme légitime. D’autre part, leur dynamisme montre que ce mode de vie n’est pas menacé dans son essence par le dessin de Le Corbusier.

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Pour faire référence à cet article
Perla Serfaty-Garzon (2002), Le chez-soi, habitat et intimité. In Segaud, M., Brun, J. et Driant, J.C. (Dir.), Dictionnaire critique du logement et de l’habitat, sous le regard des sciences sociales, Paris, Armand Colin, p. 65-69. http://perlaserfaty.net/le-chez-soi/

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