In Aménager l’urbain. De Montréal à San Francisco. Politique et design urbains.
p.102 à 121

Introduction

Au cours de la dernière décade, on a pu obser­ver un renouveau d’intérêt pour les espaces publics en général et pour les places en particulier, à la fois parmi les citadins en général et parmi les théoriciens et les praticiens de l’urbanisme et de l’architecture. Le terme de «renouveau» convient particulièrement ici puisque ce qui s’observe est une réaction à une conception de l’urbanisme qui ignore purement et simplement les places et qui décrit les rues urbaines traditionnelles uniquement comme le siège d’un désordre insupportable, (l)

Pour redonner vie à des cités que l’urbanisme moderne a rendues arides, trois types d’attitudes se dégagent. L’une, souvent mise en pratique par exemple dans les villes nouvelles françaises, ne remet pas en question les fondements théo­riques de l’urbanisme fonctionnaliste, mais recherche une amélioration en créant au sein des villes nouvelles un centre urbain. Des équipements collectifs entourent des places. Mais ces derniè­res sont encore considérées comme accessoi­res. Une seconde attitude est plus critique de l’urbanisme fonctionnaliste et s’articule autour du désir d’ancrer les places récentes dans l’histoire. Enfin la troisième intervient sur un tissu urbain déjà existant, souvent fort ancien, et se donne un programme de protection de bâtiments et de sites urbains en s’appuyant sur des valeurs définies dès le XIXème siècle. Par exemple, le Service des Monuments Historiques naît en France en 1830.

Le concept de restauration, et par conséquent celui de protection qui lui est intimement lié, est donc moderne. Il découle d’abord du désir de con­solider l’existence de monuments considérés comme autant de signes tangibles d’un temps écoulé, c’est-à-dire du mouvement de l’histoire, ou plutôt d’une histoire collective. La restaura­tion des monuments historiques suppose donc non seulement une compréhension préalable du passé, mais aussi une vision de l’usage social que l’on voudrait faire de ce passé. Elle oblige à réfléchir sur «l’objectivité» de l’histoire, sa relativité, comme sur la subjectivité du restaurateur, et sur la cohérence d’une politique de restauration. Elle conduit toujours à des choix doctrinaux, et donc à des controverses de nature à la fois technique, philosophique et esthétique.

À ces controverses s’ajoutent aujourd’hui des questions qui portent sur les enjeux sociaux de la restauration et de la protection des monuments et sites urbains. Quel est le coût social des mesures de protection des sites urbains? Qui en bénéficie, qui en pâtit? Quelles sont ses conséquences sur les pratiques d’appropriation des lieux? Ce sont ces questions que nous voudrions aborder dans ce chapitre à l’occasion de l’étude des pratiques de trois places publiques françaises et d’une grande place suédoise qui ont fait l’objet de mesures relativement récentes de protection et qui ont été également réaménagées en espaces piétonniers.

Pour cela, nous nous appuierons sur plusieurs études empiriques de ces places entreprises par l’auteur et le groupe d’Étude de Psychologie de “Espace. Notre but n’est ni de décrire chacune de ces études empiriques, ni de fournir une des­cription détaillée de leurs résultats, Alors que cha­cune d’entre elles était conçue pour nous aider à saisir la complexité de chaque cas, nous voudrions à présent prendre distance par rapport aux détails de chaque étude, et ordonner quelques-unes des réflexions plus générales qu’elles ont suscitées en nous.

Ce chapitre voudrait livrer ces réflexions, sous la forme d’une tentative de théorisation consacrée au sens culturel, social et psychologique des mesu­res de protection des sites urbains s’appuyant sur nos études antérieures, C’est pourquoi notre inten­tion n’est pas seulement de comparer les usages de ces places tels qu’ils pouvaient être observés immédiatement avant leur transformation en espa­ces piétonniers et les usages actuels. Elle est de nous situer sur un terrain plus général, en faisant, pour chacune de ces places, un détour historique, dont le but sera de faire apparaître les continuités et les ruptures entre leurs pratiques traditionnel­les et actuelles.

Dans un second temps nous aborderons à un niveau général les thèmes de réflexion que sus­cite la protection de monuments et de sites urbains, afin de mieux situer les places qui constituent notre objet d’étude dans une doctrine donnée de pro­tection. En conclusion, nous proposerons une analyse des effets espérés, et des effets réels de la protection de ces sites sur leurs usages et leurs représentations, c’est-à-dire sur les modalités de la sociabilité publique dans les centres historiques urbains.

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Pour faire référence à ce chapitre
Perla Korosec-Serfaty (1987) Muséification des centres urbains et sociabilité publique : effets attendus, effets déconcertants. In Germain, A. et Marsan, J.-C, Aménager l’urbain. De Montréal à San Francisco. Politique et design urbains. Québec, Éditions du Méridien, p.102 à 121. http://perlaserfaty.net/museification-des-centres-urbains-et-sociabilite-publique/

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